Biographie
Siéu raïoù pèr lou sang, provençau pèr la pouésio, francès pèr la resoun
« Je suis raïol (cévenol) par le sang, provençal par la poésie, français par la raison »
Siéu raïoù pèr lou sang, provençau pèr la pouésio, francès pèr la resoun
« Je suis raïol (cévenol) par le sang, provençal par la poésie, français par la raison »
Siéu raïoù pèr lou sang, provençau pèr la pouésio, francès pèr la resoun
« Je suis raïol (cévenol) par le sang, provençal par la poésie, français par la raison »
1900-1918 : L’ enfance
Trois villes-clés
André Jules Louis Chamson, fils de Jean Chamson et de Madeleine Aldebert, naît à Nîmes, le 6 juin 1900, sous le crocodile et le palmier, symboles de cette ville deux fois millénaire dont il reconnaissait l’influence : « Avant d’être ce que je suis, j’ai joué dans les ruines d’un Empire et la poudre de ses marbres a coulé dans mes doigts d’enfant. Elle m’a peut-être enseigné à prendre la mesure des siècles ».
Il ne reste pourtant à Nîmes que deux ans car en 1902, l’usine de pâtes alimentaires que son grand-père y a créée est ravagée par un incendie et toute la famille rejoint son berceau originel, les Cévennes. Il passe dans cette région les quinze années suivantes, déterminantes pour la formation de son caractère et de sa pensée, essentiellement autour de deux villes, Alès et Le Vigan.
Alès est alors une ville minière prospère, avec ses forges, ses fonderies et ses houillères ; s’y opposent des prolétaires en situation de précarité et des industriels puissants. Pour le petit André, c’est le lieu de l’insécurité car il perçoit, très jeune, le poids de la misère humaine et il assiste aux efforts de ses parents pour s’aménager une vie plus ou moins confortable, au gré des projets souvent peu productifs de son père.
Mais, installé à la rue Mandajors, le jeune couple réussit à s’insérer dans le réseau amical des voisins, soudé dans « cette ville de fer et de comptes en banque », autour des arts : la poésie qu’ils lisent et récitent, et surtout la peinture que Jean Chamson pratique avec passion, avec des amis éclairés ; un abonnement à la collection « Les Maîtres illustres du passé » complète la précoce initiation d’André Chamson au monde des formes et des couleurs.
Le Vigan que l’enfant rejoint pour toutes les vacances représente le monde de la stabilité. Il y retrouve, au 11 rue de l’Horloge, sa grand-mère maternelle, Sarah Aldebert et sa foi inébranlable, un monde paysan marqué par des valeurs enracinées dans des traditions immémoriales, le vieux Finiels qui lui raconte des récits comme celui de la construction de la route et surtout l’Aigoual, magnifique symbole de la permanence.
Il découvre l’exaltation des grandes courses en montagne et en fera le point nodal de toute son œuvre : « Pour moi, l’Aigoual est le mont Horeb, l’Olympe et le Parnasse, la montagne sainte. (…) C’est là que j’ai découvert ce que le monde porte en lui de noblesse et de beauté. C’est là que les miens plongent leurs racines plusieurs fois séculaires. Son enfance prend aussi des couleurs épiques car sa grand-mère assure la transmission de la mémoire protestante régionale et familiale en lui faisant récit des exploits de ses ancêtres, lors de la guerre des Camisards, qui impressionnent à jamais son imagination.
La scolarité
En 1906, il entre au lycée Jean-Baptiste Dumas d’Alès mais en 1910, son père ayant fait faillite et ses parents étant contraints de déménager, il continue sa scolarité au Vigan, découvrant la langue régionale utilisée par ses petits camarades mais aussi le latin, grâce aux cours donnés par le pasteur d’Avèze. Lors du très froid hiver 1911, sa petite sœur Germaine, née deux ans auparavant, meurt et Chamson entend pour la première fois le psaume 90 : « Le chiffre de nos jours s’élève à soixante-dix ans et, pour les plus robustes, à quatre-vingts… et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère », qui renvoie au titre de son autobiographie, Le Chiffre de nos jours.
À partir de la rentrée de 1912, il retourne au lycée d’Alès, se prend de passion pour la poésie, commence à apprendre par cœur des milliers de vers, tout en pratiquant la boxe. Il entame son adolescence en déclarant à sa grand-mère qu’il a perdu la foi. En juin 1914, il fête ses 14 ans ; le 1er août, la guerre est déclarée. Le Chiffre de nos jours s’arrête sur cette bascule dans l’horreur.
Il voit partir ses amis et cousins plus âgés mais la vie continue pour lui. En juillet 1916, sa professeure de grec l’amène à Arles, il achète Mirèio de Frédéric Mistral, reçoit la poésie provençale comme une illumination et une voie à suivre. À la rentrée, il part au lycée de Montpellier faire sa classe de rhétorique puis de philosophie, écrit des poèmes, obtient la deuxième partie de son baccalauréat. En février 1917, naît Max, son petit frère, qui écrira plus tard sous le nom de Max Aldebert. Malgré la différence d’âge, Chamson est heureux de ne plus être fils unique. Il est déclaré apte au service militaire mais sa classe n’est pas encore appelée. La guerre l’a épargné et au moment de l’armistice du 11 novembre 1918, il est à Paris.
1918-1924 : Le temps des études et de l’amitié
L’École des Chartes.
En octobre 1918, Chamson part à Paris pour préparer l’École des Chartes. Très vite, il fait la connaissance de Roger Vitrac dont il partage l’amour de la poésie et de Jean Prévost, rencontré à la Sorbonne, avec lequel il fête l’armistice du 11 novembre. Le pacifisme de Chamson prend ses racines dans la détestation de la guerre. Les hommes nés en 1900, comme lui, ont représenté « la première ligne de jeunesse épargnée, laissée à la vie », mais la guerre a constitué leur horizon traumatique. Rien n’a freiné cette génération « sans ainés » qui condamne violemment le monde. Chamson analysera cet élan comme celui de « La Révolution de 19 » qui s’enclenche sur la reprise de l’espérance et la certitude du « plus jamais ça ».
Jean Chamson meurt le 13 juin 1919 de la grippe espagnole, au Vigan. Madeleine, avec le petit Max âgé de deux ans, accepte une place de sous-directrice à la pension Concordia de Paris, rue Tournefort. Chamson est reçu 9ème au concours de l’École des Chartes mais il redouble la première année car il se disperse à donner des cours pour subvenir à ses besoins et à réformer le monde dans d’interminables discussions amicales. L’année suivante, il se saisit d’une opportunité offerte par les régiments de Paris aux étudiants : le matin, il rejoint le 13ème d’artillerie à Vincennes qui lui permet de monter à cheval ; l’après-midi, il étudie. Entre temps, il donne des cours et essaie d’écrire ; le régime est trop intense mais il réussit sa première année. L’année suivante, il prend un poste de surveillant dans une école privée.
De l’amitié et de l’amour.
Pendant ce temps, le réseau amical s’élargit : André Chamson entre en contact avec « le clan des Havrais » – Pierre Bost, Armand Salacrou, Jean Dubuffet et Georges Limbour – et crée avec des amis un petit mouvement « Les Vorticistes » (du latin Vortex, le tourbillon). Ils sont tous nés autour du siècle : Henri Petit, Louis Guilloux, Jean Grenier, Jean Claparède, Georges Duveau et Jacques Kayser, le neveu du capitaine Dreyfus.
L’été 1922, il éprouve un coup de foudre pour la très jolie Lucie Mazauric, née comme lui en 1900 et originaire d’Anduze, qui désire entrer également à l’École des Chartes. Elle est la fille de Félix Mazauric, féru de spéléologie et ancien Conservateur du musée archéologique de Nîmes. L’attraction est telle qu’ils se fiancent quinze jours après. Deux faces de la même médaille, ils resteront unis jusqu’à la mort, soudés par les mêmes valeurs liées à leurs racines protestantes. À la rentrée universitaire, Lucie qui a réussi le concours d’entrée 2ème, entame sa première année et Chamson, la troisième. Sous la direction de Camille Jullian, il commence sa thèse sur Arisitum, le plus vieil évêché de France, situé justement au Vigan. Il la soutiendra deux ans plus tard.
Les intercesseurs.
En 1923, Chamson se donne pour maîtres à penser Nietzche, Tolstoï, Dostoïevski, Romain Rolland dont il aimait le pacifisme et Maurice Barrès qui a fasciné beaucoup d’écrivains de sa génération ; il partageait avec lui l’attachement aux racines, à la terre natale et aux ancêtres. Son premier ouvrage, Attitudes, est publié par un éditeur nîmois, Jo Fabre, sans écho majeur. Il le qualifiait lui- même de « texte court, hermétique, serré, barrésien. »
En 1924, pour sa dernière année de service militaire, il est élève-officier de réserve à Saint-Cyr, statut accordé aux élèves des grandes écoles. Il est ensuite nommé sous- lieutenant à Toulouse, au 83ème d’infanterie (photo ci-dessus), ce qui lui permet de découvrir le sud-ouest. Le 26 juillet, il épouse Lucie Mazauric, à Nîmes ; leur rapide voyage de noces sera agrémenté d’une ascension du Vignemale, à dos de mulets. Sarah Aldebert meurt le 17 octobre 1924. « Ce n’est pas seulement grand’mère qui est morte ce jour-là. Mais elle était trop assurée de la vie éternelle pour que sa mort soit véritablement une fin », dira-t-il.
1925-1934 :
L’ entrée dans la vie intellectuelle et politique
Roux le Bandit
À la sortie de l’École des Chartes, en 1924, Chamson accepte plusieurs petits emplois. Il fait lire le manuscrit encore inachevé de Roux le Bandit, l’histoire d’un réfractaire qui refuse de partir à la guerre de 14, à Georges Duhamel qui lui adresse un mot très encourageant. Le livre est publié en septembre 1925 par Bernard Grasset, dans la collection Les Cahiers Verts, dirigée par Daniel Halévy. La critique est très élogieuse, quoique partagée à cause du thème polémique de l’objection de conscience. L’œuvre, immédiatement traduite en plusieurs langues, signe l’entrée de Chamson dans la « République des Lettres ». Il participe aux « samedis » de Daniel Halévy, qui lui permettent de faire la connaissance, entre autres, de Julien Benda, François Mauriac, Henri de Montherlant mais aussi de Jean Guéhenno et André Malraux.
Première implication politique.
Cette première œuvre décide également de son avenir politique : en 1926, il est nommé chef-adjoint du cabinet d’Edouard Daladier, alors ministre de l’Éducation nationale qui a lu Roux le Bandit en une nuit et qui décide dès le lendemain d’engager le jeune écrivain… Il obtient un poste à la Bibliothèque nationale, en tant que stagiaire et Lucie Mazauric, qui a terminé sa thèse, celui d’attachée au cabinet de Dessins du Louvre, musée au service duquel elle restera quarante ans. Leurs maigres ressources sont heureusement regonflées par l’obtention d’une bourse de la Fondation Georges Blumenthal pour Roux le Bandit qui, décidément, constitue un miraculeux sésame. En juillet 1926, avec la chute du Ministère Briand, les fonctions politiques d’André Chamson auprès de Daladier s’arrêtent ; il abandonne la Bibliothèque nationale et devient secrétaire législatif à la Chambre des députés.
1927, une année faste
Il publie dans Les Cahiers Verts un essai, L’Homme contre l’histoire, thème sur lequel il médite depuis longtemps et un roman Les Hommes de la route dont l’épopée lui a été racontée par Finiels, un voisin de la grand-mère du Vigan. Il frôle le prix Goncourt. Le 7 juin, naît leur unique enfant, Frédérique, qui deviendra plus tard l’écrivain, Frédérique Hébrard – naissance saluée par les poètes provençaux. L’enfant est confiée aux bons soins de la grand-mère maternelle Jeanne Hébrard et de ses deux sœurs, à Nîmes, pendant cinq ans. Cet été-là, Chamson, Camarguais de cœur, passe quelques semaines dans le mas du marquis de Baroncelli où il rencontre Joseph d’Arbaud et chevauche dans les manades.
La décade de Pontigny, les premiers réseaux
En 1928, le couple emménage à la rue Thouin, en haut de la montagne Ste-Geneviève. Chamson participe à la décade de Pontigny organisée chaque année par Paul Desjardins. Il y brille, enchaine les joutes oratoires avec André Malraux.
Il entre dans le cercle des deux prêtresses de l’édition, Sylvia Beach et Adrienne Monnier dont les librairies accueillent tous les écrivains importants – André Gide, Jules Romains, Paul Valéry, Martin du Gard, Saint-Exupéry… – et la colonie intellectuelle américaine : Sherwood Anderson, Ezra Pound, Ernest Hemingway, James Joyce, King Vidor et surtout Scott Fitzgerald avec lequel Chamson restera lié longtemps. Il est reçu aussi chez André Gide, Emmanuel Berl, Jean Schlumberger, Roger Martin du Gard et reçoit à son tour : dans ces réunions et soirées, se tissent et se consolident des réseaux littéraires et amicaux très forts. Chamson est désormais membre de « la tribu des clercs », le clan des écrivains et intellectuels qui comptent. Il publie Le Crime des Justes, œuvre sombre, très appréciée du public et de la critique, qui complète la trilogie de La Suite cévenole.
En 1929, il voyage dans le Tyrol, fait des ascensions sportives. En 1930, il multiplie les conférences – sans textes, ni notes, comme un vrai tribun –, notamment en Suisse et en Allemagne. Il reçoit « le prix des Muses » décerné par le jury féminin des Belles Perdrix et écrit beaucoup : L’Aigoual commandé par J.-L Vaudoyer, Histoires de Tabusse, Histoires de Magali, un livre pour les enfants et deux essais, Tyrol et La Révolution de 19. Son attachement au mouvement félibrige qui ne se démentira jamais s’expriment dans un poème en provençal sur les gardians camisards Compagnons de la Nuée et dans Affirmations sur Mistral, écrit pour fêter le centenaire de la naissance du poète provençal. Mais cette abondante production littéraire se fait au détriment de sa santé, en particulier de son estomac, très fragile. L’été 1931 est endeuillé par la disparition de sa mère, Madeleine Chamson.
La montée des périls
Les années qui suivent seront plus politiques que littéraires : en 1932, il publie Héritages, qu’il n’aimait pas ; il reçoit pourtant le Prix anglais Northcliffe. Il assiste au Congrès de Brno, en Tchécoslovaquie où, comme les autres intellectuels, il perçoit la première percée du nazisme. Dans les Hautes Tatras, il écrit aux trois-quarts et presque d’une seule traite, un roman historique L’Auberge de l’abîme qui paraitra en 1933 et qui a pour cadre l’abîme de Bramabiau, tant exploré par Félix Mazauric, le père de Lucie.
En novembre 1932, Chamson (tout comme Giono) est élevé au grade de Chevalier de la légion d’honneur. En avril 1933, il fait partie avec Louis Joxe, Pierre Bost, Jacques Kayser et Thierry Maulnier de la délégation française à la conférence internationale de Leyde. La délégation allemande composée de jeunes nazis évoque « les crimes rituels des Juifs » ; elle est sommée de partir par le recteur qui sera assassiné, pendant la guerre, en représailles à cet affront. En septembre, il est nommé Conservateur-adjoint au Palais de Versailles, réalisant ainsi un des rêves qui l’avaient fait entrer à l’École des Chartes. La famille s’y installe, dans la magnificence des bâtiments et leur glacial manque de confort, jusqu’en 1939.
Le choc du 6 février 1934
En 1934, après une grande série de conférences en Angleterre, Chamson rejoint le gouvernement formé par Daladier en janvier, comme chef-adjoint de cabinet au ministère des Affaires étrangères. Cette position lui permet d’observer de très près les événements : l’affaire Stavisky, la mise à l’écart du préfet de police Chiappe, la campagne d’agitation menée par les ligues d’extrême-droite, les manifestations antiparlementaires devant la Chambre des députés qui aboutissent aux terribles émeutes du 6 février qui feront une vingtaine de morts et des centaines de blessés. Daladier démissionne et Chamson est horrifié : un petit groupe a pu mettre à mal les structures démocratiques de la société et manipuler le peuple. Sa fonction d’écrivain lui apparaît, dès lors, très claire : elle est dans la lignée de la défense de Calas par Voltaire et du « J’accuse » de Zola, dans un esprit de justice et d’action contre les désordres du monde pour éclairer le plus grand nombre. Il veut désormais peser dans le débat civique et ne plus tracer de frontière entre la littérature et la politique. Il publie en 1938 un roman sur le 6 février, La galère et en référence aux événements survenus en 1933 et 1934, il écrit L’année des vaincus, immédiatement traduit, où il pressent que le pire arrive.
1935-38 : La lutte antifasciste et Vendredi
L’action politique : associations, discours et manifestations
À partir du 6 février 1934, Chamson s’implique totalement dans l’action publique. Dans Devenir ce qu’on est, il dit : « Pendant plus de cinq ans, détourné en grande partie de mon labeur d’écrivain par cette dévorante angoisse, je vivrai dans une atmosphère d’apocalypse, au milieu des signes avant-coureurs de la catastrophe prochaine. » La lutte contre le fascisme mobilise désormais toutes ses forces.
Il adhère, d’abord, à des associations antifascistes et en particulier au CVIA, Comité de Vigilance des intellectuels antifascistes, créé en mars 1934 et donc directement lié au traumatisme du 6 février. Cette association dépasse les clivages sociaux – malgré son titre, elle s’adresse aussi aux ouvriers – et politiques car à sa tête se trouvent le philosophe radical Alain, le compagnon de route du communisme Paul Langevin et le socialiste Paul Rivet, ce qui préfigure la triade qui se trouvera à la tête de Vendredi en 1935.
Chamson participe ensuite à l’organisation de grands rassemblements qui ont ponctué toute la période du Front populaire. Le plus important est le premier Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui se déroule à la Mutualité à Paris, du 21 au 25 juin 1935. Chamson fait partie du Bureau français avec Guéhenno, Malraux, Giono, Benda et Cassou. Les écrivains affluent de 38 pays et confirment l’élan antifasciste aspirant à défendre la culture contre toute forme d’oppression. Chamson y fait un discours très remarqué : « Je voudrais que ma voix puisse porter jusqu’à mes adversaires. Je suis leur ennemi parce que je suis Français depuis que la France s’est faite… Parce que je suis lié à ce sol par les cimetières et les sillons. » Le prolongement naturel de ce congrès est l’énorme manifestation du 14 juillet où défilent les partis de gauche et les syndicats réunis, précédée le matin par un premier rassemblement au stade Buffalo au cours duquel 10 000 hommes représentatifs ont prêté « le serment solennel de rester unis… ». Le texte complet a été rédigé par Chamson, Guéhenno et Kayser.
Chamson est très ferme également lors de son premier discours au Désert, en septembre 1935, au mas Soubeyran de Mialet. Il est intitulé, de manière prophétique « Résister », le mot gravé sur la pierre de la Tour de Constance qui reste l’injonction à suivre dans tous les temps troublés. « Résister […], c’est se refuser d’avance à accepter la loi de la défaite. Voilà l’exemple que nos Cévennes donnent à l’homme. »
Vendredi
Mais le pouvoir le plus important est celui que donne la presse. Chamson a déjà publié de nombreux articles, notamment dans deux revues de gauche, Europe et Marianne. Il veut un journal plus engagé et militant, capable de rivaliser avec les deux grands organes de droite, Candide et Gringoire, et de fédérer le grand élan unitaire de la manifestation du 14 juillet 1935.
Dès 1934, il récolte des listes de lecteurs potentiels auprès du CVIA et des syndicats ; il trouve les fonds et un administrateur de confiance, Émile Lohner et choisit deux autres directeurs. Le Comité directeur de Vendrediest tripartite : Chamson, de tendance radicale, Guéhenno, socialiste et Andrée Viollis, communiste. Le premier numéro paraît le 8 novembre 1935 et porte, en tête de l’éditorial de Chamson, le chapeau « Fondé sur l’initiative d’écrivains et de journalistes et dirigé par eux, Vendredi paraît ». Tous les grands auteurs y collaborent : André Gide, Jules Romains, Jean Giono, Henri de Montherlant… mais aussi Irène et Frédéric Joliot-Curie, Darius Milhaud, Jean Lurçat…
Grande originalité de Vendredi : il est un exemple unique dans l’histoire de l’édition de l’adéquation entre un organe de presse et une période politique. Il a eu un destin parallèle à celui du Front populaire : ils sont nés et morts ensemble. Les historiens disent qu’il a permis l’élection de Léon Blum, ce qui n’empêche pas le comité directeur de Vendredi de relever les manquements de ce gouvernement aux idéaux de base : les restrictions imposées aux classes les plus défavorisées par exemple, et surtout la politique de non intervention pendant la guerre d’Espagne qui déchire la belle entente.
Après une période d’exaltation marquée par la manifestation du 14 juillet 1936 où défilent les directeurs de l’hebdomadaire, les tiraillements sont de plus en plus importants entre les trois partis de gauche. La discorde principale porte sur l’avant-propos de Retour d’URSS écrit par Gide et publié dans le numéro du 6 novembre 1936 et sur les procès de Moscou. Le pacifisme divise aussi ; Chamson y renonce après la chute de Malaga en février 1937. À l’automne 1937, après le 2e congrès international des écrivains qui s’est déroulé symboliquement en Espagne, il écrit Retour d’Espagne – Rien qu’un témoignage, traduit en espagnol, Un testimoño. Il y dénonce avec indignation les terribles massacres.
Vendredi est attaqué de toutes parts et les ventes diminuent. « Un journal libre est, par définition, un journal que personne ne soutient », dit Chamson. En avril 38, Blum laisse la place au Ministère Daladier, auquel Chamson ne tient plus à participer. Le dernier numéro de Vendredi, le 158e, paraît en novembre 1938. Il n’en reste pas moins que la création de Vendredi « a été quantitativement et qualitativement l’une des expressions les plus significatives du mouvement par lequel se constitua ce qui fut le plus grand engagement politique des écrivains depuis l’affaire Dreyfus. » (A. Roche et G. Leroy, « Vendredi » Les écrivains et le front populaire, Presses des sciences politiques, p. 127.).
Pendant cette période survoltée, Chamson délaisse la littérature. Une seule œuvre naît miraculeusement dans la tourmente, Les Quatre éléments, publiée en 1935 : Chamson renoue avec le monde de l’enfance et de la montagne.
1939-1944 : La guerre et la brigade Alsace-Lorraine
Officier de liaison sur le front d’Alsace.
Dès la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, Chamson prend la décision de s’engager : il rejoint en tant que capitaine de réserve l’armée d’Alsace sous les ordres du jeune général de Lattre de Tassigny. Il n’a pas renoncé aux idées défendues par Roux le bandit ; il déteste toujours la guerre mais l’engagement lui semble la seule solution pour défendre la liberté. Le combat est juste : « Ce n’est pas la guerre que j’ai acceptée, ce n’est pas à elle que j’ai donné mon consentement mais aux hommes qui m’entourent, à tous ceux qui, pas plus que moi, ne l’acceptent dans leur cœur et qui, pourtant, sont pris par elle. »
Frédérique rejoint sa grand-mère à Nîmes et Lucie suit à Chambord les chefs-d’œuvre du Louvre qui seront ensuite dispersés dans différents châteaux. Leur sauvegarde a été planifiée, dès 1938, par le sous-directeur des musées nationaux, Jacques Jaujard. Chamson part pour le front d’Alsace en tant qu’officier de liaison entre le front et le commandement installé à l’arrière. De ces incessants va-et-vient entre les deux lignes, il tire des « leçons non pas différentes dans leur fin mais dans leur atmosphère, leur pathétique. Car si toute leçon s’adresse à l’esprit, en ligne, aux avant-postes, c’est la chair qui apprend. » Il consigne ses réflexions dans Quatre mois – Carnet d’un officier de liaison.
En avril, il reçoit la Croix de guerre sur le front des troupes avec la citation suivante : « Officier plein de cœur et d’enthousiasme, d’une bravoure frisant la témérité. Partage presque quotidiennement la vie des corps francs, des postes avancés les plus exposés. A notamment rempli les 1er, 5 et 6 mars 1940 des reconnaissances personnelles et des missions photographiques à proximité immédiate et sous le feu de l’ennemi, a procuré au commandement des renseignements de tous ordres et de grande valeur. » Épuisé et l’ulcère à l’estomac à vif, il est évacué à plusieurs reprises mais, chaque fois, il rejoint le front. Le 14 juin, les Allemands entrent dans Paris. Le maréchal Pétain remplace Paul Reynaud à la tête du gouvernement. Le 18 juin, le général de Gaulle lance le fameux appel, depuis Londres. Le 22, l’armistice est signé à Rethondes. C’est la capitulation pour la France.
La sauvegarde des chefs-d’œuvre du Louvre.
Chamson, désemparé par cette « mauvaise paix » et démobilisé, retrouve son épouse qui a suivi les chefs-d’œuvre du Louvre à l’Abbaye de Loc Dieu et lie son sort au leur. Il rencontre de Lattre de Tassigny au château d’Opme qui, solennellement, lui prédit une prochaine reprise du combat. C’est ce que Chamson appelle « le serment de Gergovie ». Il ne lui reste plus qu’à attendre le moment, il sait où est son devoir. Il rédige Écrit en 40 mais pendant toute la durée de la guerre, il ne publiera aucune ligne : « Je n’ai rien à dire au temps qui passe. On ne me permettrait que le mensonge. Devant cet effondrement des valeurs humaines, il ne peut y avoir de fierté que dans le silence. »
À partir de septembre, les tableaux sont transférés au Musée Ingres de Montauban ; les Chamson y retrouvent René Huygue et sa famille. André reprend l’écriture : un roman, Le Dernier village et un essai, Liber veritatis. Il écrit « pour le jour de la liberté (…) pour conjurer les maléfices de la défaite ». Il organise pour ceux qui sont recherchés des lieux de refuge dans les Cévennes, terre d’accueil depuis les Camisards. Les personnes se recommandent du « Monsieur des Bressous » – nom de la maison que les Chamson ont acquise, en 1940, dans un hameau près de Valleraugue, pour reprendre racine et échapper aux secousses historiques.
En 1942, les Allemands entrent dans Montauban, libérant les mauvais instincts de certains citoyens, ce qu’il stigmatisera dans un roman très puissant, Le Puits des miracles. Les chefs-d’œuvre du Louvre repartent sur les routes et sont dispersés dans plusieurs petits châteaux ; une centaine des plus précieux trouve refuge dans celui de Loubéjac, sous la surveillance des Chamson puis, fin 1943, dans celui de Montal, sous la protection de R. Huygue. Les Chamson veillent, eux, sur les volumineux chefs-d’œuvre de l’Égypte ancienne, au château de La Treyne, près de Souillac. La région est saturée d’œuvres et d’artistes : Roger Vitrac, Jean Cassou, Elsa Triolet, Roger Martin du Gard, Jean Lurçat, Tristan Tzara… Chamson trouve la filière de maquis constitués et participe à quelques-unes de leurs opérations. Mais l’Histoire l’attend ailleurs.
La Brigade Alsace-Lorraine
Fidèle au « serment de Gergovie », Chamson est resté en contact avec le général de Lattre de Tassigny qui lui a demandé de lever un petit contingent, en prévision d’un débarquement. Avec les deux Alsaciens, le capitaine Fisher et Bernard Metz, il réunit sept cents hommes, provenant notamment des « centuries » alsaciennes et lorraines de Dordogne. De Lattre de Tassigny débarque avec les Américains, le 15 août 1944, Chamson le rejoint le 31, à Aix-en-Provence, obtient de lui un ordre de mission, des camions GMC avec les chauffeurs, et la confirmation du grade de commandant qu’un chef du maquis lui a octroyé. Le 6 septembre 1944, il part de Souillac avec la troupe ; en chemin, il a une entrevue à l’abbaye d’Aubazines avec André Malraux qui lui propose de joindre son bataillon aux deux qu’il a lui-même constitués. C’est ainsi que naît la « Brigade Alsace-Lorraine » dont Malraux prend le commandement avec le lieutenant-colonel Jacquot, commandant en second. Elle sera constituée du bataillon « Strasbourg » issu des maquis de la Dordogne, du bataillon « Metz » né dans les maquis d’Aquitaine et du bataillon « Mulhouse » sorti des maquis de Savoie et Haute-Savoie. De Lattre l’insère dans les rangs de ce qui allait devenir la 1ère armée. Chamson est l’officier de liaison entre les deux, s’engageant aussi dans les combats de crêtes et de forêts, dans un hiver très rigoureux.
En octobre, après la bataille de Bois-le-prince où la Brigade laisse une cinquantaine de morts et une centaine de blessés, de Lattre décide de mettre au repos les soldats à Remiremont.
En novembre, la Brigade reprend Dannemarie, Mulhouse et surtout, elle entre dans Strasbourg libéré par la 2e DB. Mais les combats continuent : pour la bataille de Colmar, Chamson fait la liaison entre le PC de de Lattre de Tassigny et la 3e division du Texas qui tient le secteur des Vosges ; le mouvement de libération est irréversible. La Reconquête – titre d’un ouvrage qu’il publiera en 1975 – est terminée.
Le 14 juillet 1945, il défile sur les Champs Élysées, dans une des quatre voitures blindées qui suivent la jeep du général de Lattre de Tassigny, magnifique moment qui conclut les quatre années de guerre, les dix mois et demi de combat pour la libération des terres de l’est et la disparition de deux amis, Saint-Exupéry, le 31 juillet 1944 et son grand ami, Jean Prévost, le lendemain, dans le Vercors.
1945-1954 :
Le Petit Palais
Chamson est démobilisé le 1er août 1945. Pour ce premier été de la paix, il se ressource en Cévennes, aux Bressous, avec les Jaujard. Des amis socialistes l’incitent à se présenter à la députation ; il refuse. À partir de 1945, le rapport entre politique et littérature s’inverse : c’est la seconde qui lui semble désormais la voie royale de l’expression. Mais il lui faut tout rebâtir.
Sa place dans la littérature d’après-guerre
Considéré comme un des auteurs les plus prometteurs de sa génération avant la guerre, Chamson ne trouve plus ses marques. « Après cinq ans de silence, j’ai le sentiment d’être oublié. Dans le monde où nous vivons, le silence n’a pas de vertu. Il faut recommencer à pied d’œuvre, redébuter comme vingt ans auparavant. »(Devenir ce qu’on est.)
L’après-guerre s’avère difficile. Les réseaux ont volé en éclats, d’autres se sont installés dans lesquels il n’entre pas ou ne veut pas entrer. Le public ne lui a pas su gré de s’être tu pendant la guerre et certains confrères ne sont pas complètement ravis de devoir encore compter sur ceux qu’ils croyaient disparus.
Chamson a heureusement sous le coude les livres écrits dans la période 1940-44 qu’il se hâte de faire publier : en 1945, paraissent Écrit en 40, dédié à Jean Prévost et Le Puits des miracles, partiellement édité aux éditions de Minuit sous le nom de Lauter et dédié à Jacques Jaujard. En 1946, sortent Liber veritatis et Le Dernier Village. Si ce dernier roman rencontre un écho modeste, Le Puits des miracles connaît un très grand succès et une traduction immédiate en une douzaine de langues. Écrit à Montauban, dans le noir de la guerre, c’est un règlement de comptes de ces quatre années de honte, un féroce pamphlet contre les profiteurs de guerre. Il dira lui-même : « Jamais je ne m’étais mis en prise directe comme je l’ai fait dans ce livre. C’est un livre furieux, un livre sans retenue. […] C’est d’une autre voix que je parle ici. Elle est comme un écho des lectures de Job et d’Ézéchiel que j’ai faites pendant mon enfance. » (Devenir ce qu’on est). Ce roman amorce la remontée de Chamson dans les lettres françaises, malgré l’échec relatif d’un autre roman sur la guerre, L’Homme qui marchait devant moi, publié en 1948. Cette année-là, Histoires de Tabusse, et Le Crime des Justes, sont adaptés à l’écran.
Les deux très grands succès littéraires qui suivent redonnent définitivement à Chamson la place qui était la sienne, cinq ans auparavant. Dans La Neige et la fleur, paru en 1951, Chamson dépeint les élans de la jeunesse ; le roman est dédié à sa fille Frédérique devenue comédienne et à Louis Velle qu’elle a épousé en 1949, avec en épigraphe cette phrase de Mérédith : « Garde les jeunes générations à portée de voix et ne leur laisse pas une maison ruinée. » Le roman est traduit en plusieurs langues et donne naissance à une série de dix-sept émissions de radio sur la jeunesse, de trente minutes chacune, diffusées deux fois par semaine sur la chaîne nationale, à partir de novembre 1951. Elles sont intitulées « Le rendez-vous des espérances », titre que Chamson reprendra pour un roman publié en 1961.
Avec Le Chiffre de nos jours, paru en 1954, Chamson cède enfin à la tentation autobiographique. Il renoue avec sa propre enfance : l’indulgente rigueur de la grand-mère Aldebert, l’amour de sa mère, les chimères de son père, l’éblouissante découverte de la montagne. Le livre est un immense succès et les traductions étrangères se multiplient.
Les grandes expositions au Petit Palais
À la fin de la guerre, Chamson reprend ses activités au Château de Versailles. En 1946, on lui propose un poste de Conservateur au Petit Palais qu’il gardera jusqu’à 1959. C’est un véritable défi car ce musée a été bombardé en août 1940, occupé pendant toute la durée de la guerre et fortement endommagé lors des combats pour la Libération de Paris. Après les travaux de rénovation et de restauration, Chamson s’emploie avec énergie à organiser la première grande exposition d’après-guerre : il désire montrer aux Français les fameux tableaux partis en voyage et revenus d’exil que le Louvre, en réparation, ne peut encore accueillir. C’est une très grande réussite. Il dira en 1959 : « J’ai vu défiler, pendant des semaines, des vieilles gens qui retrouvaient les chefs-d’œuvre qui avaient fait l’enchantement de leur jeunesse et qu’ils n’avaient pu voir depuis six ans et des adolescents ou des jeunes filles qui ne les avaient jamais vus et qui les découvraient comme on découvre l’amour. » (Inédit, © Collection Ville de Nîmes – Bibliothèque Carré d’Art).
Certaines expositions seront internationales, comme celles consacrées en 1947 aux Trésors de Vienne, en 1948 à ceux de la Pinacothèque de Munich, en 1952 à Edvard Munch. Mais il n’oublie pas l’art français : il organise, entre autres, les expositions sur la gravure contemporaine en 1949, sur la Vierge en 1950, sur Courbet et Carpeaux en 1955…
Stature nationale et internationale
Les expositions internationales montrent le crédit que Chamson a conservé auprès des pays étrangers et d’autres signes ne trompent pas. Il assiste à l’université de Göttingen en 1949 à la soutenance de la 1ère thèse sur son œuvre par une étudiante allemande, renouant ainsi le dialogue avec l’outre-Rhin. Il est appelé pour faire des conférences en Allemagne mais aussi en Scandinavie en 1947, en Italie en 1950, au Brésil en 1952…
Il est élu Président du PEN Club français (PEN = Poets, essayists, novelists) en janvier 1951, en remplacement de Jean Schlumberger. Malgré la charge du Petit Palais, il accepte cette présidence car il est toujours convaincu de la fonction sociale de l’écrivain. Le PEN Club auquel il a adhéré en 1945 réunit les écrivains qui défendent les valeurs de paix et de liberté, sans a priori politiques. À partir de 1951 et jusqu’en 1959 – puis, avec moins de régularité – l’été des Chamson commence par un congrès permettant aux écrivains de tous les pays d’initier une réflexion internationale sur des thèmes choisis : l’histoire et la littérature en 1951 à Lausanne, la jeune génération et la littérature en 1952 à Nice, la littérature des peuples à faible diffusion linguistique en 1953, à Dublin, ce qui lui permet de rappeler son attachement à la langue provençale. Cette même année, il fait une série de conférences à l’Université de Columbia, à Yale, à New York University, à Harvard, à Boston University et à Princeton. Il voit aux USA des saynètes drôles qu’il relatera dans La Petite Odyssée, en 1965.
En 1954, la remontée sur le plan littéraire et professionnel, après les années noires de la guerre, est terminée. Une nouvelle période s’ouvre encore à lui.
1955-1958 : Les grands honneurs – Académie française et PEN Club international
Cette courte période, 1955-1958, est marquée par l’année 1956, particulièrement faste avec un beau doublé : élection à l’Académie française et à la présidence du PEN Club international.
L’Académie française
André Chamson a d’abord été honoré par l’étranger : en 1955, il devient membre de la prestigieuse académie allemande de Darmstadt qui n’a reçu jusque-là qu’un seul autre auteur français, Jean Cocteau.
Les lauriers hexagonaux suivent : en 1956, soutenu par ses deux parrains, André Maurois et Daniel-Rops, il est élu à l’Académie française, lors de la séance du 17 mai, au 15e fauteuil occupé par le Baron Ernest de Seillères. Chamson est fêté pendant tout l’été. L’accueil des Nîmois dans sa ville natale le touche ; celui des Arlésiens l’émeut et il répond à leurs traditions en montant les quelques marches du Museon Arlaten, à cheval et en habit de gardian. Celui des Viganais le bouleverse : très ému, il s’adresse à ses compatriotes qu’il tutoie, « les mains nues et le cœur plein », en enfant du pays : « S’il est bon qu’un écrivain étende sa petite patrie et qu’il élargisse son domaine spirituel jusqu’à le faire coïncider avec ce qui est universel, avec la condition même de l’homme, il n’en reste pas moins que c’est toujours le même petit coin de terre qui nous donne nos plus grandes émotions et qui est pour nous le plus chargé de souvenirs. »
Il n’oublie ni sa « petite patrie », ni ses amis disparus pendant la guerre : lors de son discours de réception à l’Académie, le 23 mai 1957, il fait l’éloge de son prédécesseur mais rappelle, d’entrée de jeu, qu’Antoine de Saint-Exupéry et Jean Prévost auraient dû l’accompagner sous la Coupole. Il dit également sa fierté de faire partie de l’illustre assemblée, évoque l’homme éternel qui est passé pour lui, sous les traits des Camisards, « dans les solitudes tragiques de [ses] montagnes, peuplées d’ombres et de nuages où le souvenir des héros revit chez les laboureurs » et termine son discours par des vers en provençal et français de Frédéric Mistral.
Dans la réponse à ce discours, Jean-Louis Vaudoyer qui a assisté aux belles fêtes de l’été précédent, salue le « rhodanien des deux rives », à la fois fidèle au Languedoc et à la Provence. Le mot qui lui est attribué lors de son installation est « (se) cabrer » ; il correspond idéalement à son double profil de cavalier et de réfractaire.
Son épée d’académicien, exécutée par le sculpteur Germaine Richier, loin de marquer une rupture avec ce qui précède scelle ses multiples passions : s’y trouvent l’étoile des Félibres à sept branches et le trident de Camargue, la croix du Languedoc et les trois grains de blé que les Camisards glissaient dans leurs fusils ainsi que la Colombe du Saint-Esprit. Sur la lame, est gravé le mot « Résister ».
Le PEN Club international (1956-1959).
Autre élection très importante en 1956 : celle qui le porte à la présidence du PEN Club international, lors du 28e congrès de Londres, en juillet, en remplacement de Charles Langbridge Morgan. Il reçoit immédiatement un mot de félicitations de Jules Romains : « Votre élection est une bonne fortune pour le PEN, pour la France, pour le monde libre ». Il accepte cette charge qui risque pourtant d’empiéter pendant trois années sur sa production littéraire : « Nous vivons de nos rêves intérieurs mais nos rêves intérieurs vivent de nos contacts avec le monde. »
Il doit défendre désormais les principes énoncés dans la Charte et se trouve confronté dès le mois de novembre au soulèvement de Budapest et à l’appel au secours des écrivains hongrois. Chamson alerte tous les centres des PEN nationaux, leur demandant de mettre en place aide et soutien à leurs confrères, organise des accueils en France pour les réfugiés, envoie un télégramme à l’UNESCO réunie en conférence à New-Delhi, en proposant une sorte de « Croix-Rouge de l’esprit » pour protéger les écrivains, intellectuels, professeurs dont l’écrasement symbolique ne fait que préfigurer celui du peuple.
En 1957, tout en continuant à s’occuper des événements hongrois qui le poursuivront jusqu’à la fin de son mandat, il organise le 1er congrès du PEN Club en Asie sur le thème « Les influences réciproques de l’Orient et de l’Occident en littérature et dans la vie ». Au Japon, se réunissent 68 écrivains européens et plusieurs centaines d’écrivains asiatiques venus de Hong-Kong, de l’Indonésie, de l’Inde, du Pakistan, de la Corée. Chamson y rencontre, entre autres, Yasunari Kawabata, futur prix Nobel, Kosiro Serizawa, l’auteur du Dernier des Samouraï et de J’irai mourir à Paris et celui qui a traduit ses œuvres, en japonais, dont Les quatre éléments. Malgré toutes les tensions politiques, ce Congrès est un très grand succès.
Les honneurs continuent en 1957 : Chamson est élu à l’Académie de Nîmes et à l’Académie des Jeux floraux de Toulouse, ce qui correspond bien à sa conception très extensive de la région qui va de la Catalogne au Piémont. Il devient Majoral du Félibrige – en 1956, il a obtenu le Prix Mistral pour un recueil de poèmes provençaux, Lou Ramas de pin negre – et on lui confie la présidence du Museon Arlaten.
Il est nommé membre du Conseil Supérieur des gens de Lettres.
Et pendant ce temps, il continue à faire des conférences et à écrire, notamment Adeline Vénician en 1956, roman dans lequel il règle encore ses comptes avec la guerre ; c’est la deuxième « pierre noire » de ce qui deviendra plus tard, La Suite pathétique. Il clôt cette période avec un conte philosophique, Nos ancêtres les Gaulois, publié en 1958.
Il vient de passer quatorze années au poste de Conservateur au Petit Palais, un multiple de 7, le chiffre sacré des poètes provençaux ; il a organisé une quarantaine d’expositions dont la dernière, en 1958, sur les Trésors du Pérou. Une autre période s’ouvre encore à lui.
1959-1983 : L’Histoire – Entre les Archives nationales et les Camisards
Les Archives nationales (1959-1971).
En 1959, Chamson accède à une autre fonction et il consigne dans un petit carnet personnel (inédit) : « Malraux m’a offert la Direction générale des Archives, à laquelle jamais je n’avais pensé. Tour d’horizon fait en 24 heures, acceptation. Un beau métier pour achever ma carrière, un beau dernier second métier, à l’abri “de ce qui amoindrit”. » Il accède ainsi à une très haute fonction qui correspond symboliquement à ce qu’il est profondément, un homme de mémoire. Nommé Directeur général des Archives de France par l’arrêté du 30 septembre 1959, il est désormais, à l’Hôtel Soubise, au cœur de l’histoire.
Il fera le bilan de son mandat, lors du 8e et dernier congrès des archivistes qu’il présidera en juin 1970, à Paris : il a continué l’œuvre de son prédécesseur en affirmant « dans la pierre » la dignité et l’utilité des Archives : extension et réaménagement des bâtiments des archives nationales, construction de 25 dépôts en France qu’il a inaugurés, création d’un nouveau service d’onomastique, amélioration des conditions de travail des archivistes. Il est particulièrement fier de trois projets menés à bien, dans une logique de décentralisation pour éviter l’énorme concentration des documents dans un seul endroit : le dépôt central des archives d’Outremer à Aix-en-Provence, inauguré en octobre 1966 et qui avait été rendu nécessaire, après la guerre d’Algérie, par l’afflux des archives des pays anciennement colonisés ; le dépôt des microfilms au Château d’Espeyran dont la première pierre est posée le 22 novembre 1970. Quant au 3e projet, celui de la Cité interministérielle de Fontainebleau – actuellement dénommée « Centre des archives contemporaines » – créée en 1969, son aménagement progressif reviendra à la charge de son successeur.
Il est toujours l’homme du culturel : il organise des expositions sur Notre-Dame de Paris, Napoléon 1er, le Mont-Saint-Michel et Michelet, accueille le Tout-Paris dans le cadre du Festival du Marais en 1967, accepte d’être membre de nombreux prix littéraires, continue ses conférences et ses discours. Il sera même un éphémère président du Festival de Cannes, interrompu par les événements de 1968.
Pendant la période des Archives, il reste proche du pouvoir et surtout du général de Gaulle qu’il a soutenu en 1965 et d’André Malraux, ministre de la Culture de 1959 à 1969. Il soutiendra Georges Pompidou en juin 1969. Chamson fait partie des grands commis de l’état systématiquement invités lors des réceptions officielles et des chasses présidentielles. En 1971, il lui faut quitter ce « second métier » si prenant, il lui reste à continuer le premier, celui d’écrivain.
par le général de Gaulle
Le premier métier
En fait, il n’a jamais vraiment abandonné la littérature ni l’écriture, profitant de sa facilité à produire, dès que s’ouvre une petite brèche de liberté.
Il se rend régulièrement à l’Académie ; au fil des ans, il accueille des amis, Jean Guéhenno reçu le 6 décembre 1969, Joseph Kessel le 6 février 1964, au discours duquel il répond ; il parraine son ami Jean Paulhan reçu le 27 février 1964. Il fait des rêveries autour du noble institut : il a souvent parlé des ombres amies qu’il sent à ses côtés sous la Coupole, Saint-Exupéry, Jean Prévost, Paul Nizan. Dans Le 41e fauteuil, publié en 1971, il imagine à qui il attribuerait une place supplémentaire et il répond sans hésiter, Jules Michelet, un de ses maîtres incontestables. En décembre 1974, il imagine également la réception imaginaire de Joseph d’Arbaud, poète et gentilhomme de Camargue. Quand un Immortel meurt, il prononce de beaux discours dont certains sont publiés, par exemple pour les funérailles du duc de la Force en 1961 et celles de Jean Cocteau en 1963.
En dépit d’une activité professionnelle, sociale et mondaine d’une extrême densité, Chamson n’a pas cessé d’écrire pendant la direction des Archives. Mais, à part un essai autobiographique publié en 1959, Devenir ce qu’on est et un ultime roman sur la guerre, paru en 1964, Comme une pierre qui tombe qui s’insère dans La Suite pathétique, l’essentiel de sa production devient historique et se concentre sur la geste camisarde.
La Suite camisarde et protestante
Tous les documents sont à portée de main du Directeur des Archives et il se lance dans une entreprise qui lui tient à cœur depuis longtemps. Dans son petit carnet, il note à la date du 24 août 1961 : « Je passe beaucoup de temps à tâcher de calculer le temps qui me reste, pour l’utiliser au mieux. […] Tolstoï a écrit Maître et serviteur à 66 ans. La grande œuvre est donc encore possible. Aller au fond. »
En 1967, paraît enfin le roman historique La Superbe où il met en scène un de ses ancêtres galériens et dont la préface commence par cette phrase : « J’ai passé ma vie entière sans oser commencer ce livre. Il est fait. Il était temps de le faire ». C’est le début de ce qu’on peut appeler La Suite camisarde ou protestante. Le roman La Tour de Constance, publié en 1970 est centré sur les prisonnières de la foi.
La retraite prise, Chamson continue sur sa lancée et écrit en 1974 Les Taillons dont l’action démarre en 1815 puis deux récits historiques sur deux grands chefs camisards, Castanet, le Camisard de l’Aigoual en 1979 et Catinat, le gardian de Camargue, en 1982, un an avant son décès. La première phrase de la préface de Catinat est de type conclusif : « J’aurai passé quatorze années à m’occuper sans cesse de la guerre des Cévennes. »
Les Camisards ont envahi, en effet, la fin de son œuvre mais ils sont là, depuis toujours, inscrits dans son enfance, ses années de formation et son parcours d’adulte. Ils sont indissolublement liés à sa région, sa famille et la religion protestante. L’action essentielle d’André Chamson dans l’histoire du protestantisme français provient de son attachement exceptionnel à la mémoire de son peuple qu’il met en pleine lumière par les ouvrages publiés de 1967 à 1982 qui sont tous accueillis très chaleureusement par le public et la critique.
Mais la parole a aussi son efficacité : il prononce trois discours au Musée du Désert en 1972, 1975 et 1979, insistant sur les valeurs portées par les protestants. Chaque discours, chaque roman fixe de plus en plus l’image de Chamson, huguenot et camisard.
Il renoue cependant avec la veine autobiographique en 1975 pour publier ses souvenirs de la guerre avec La Reconquête, revient au roman historique avec Sans Peur et les brigands aux visages noirs en 1977, sans rapport cette fois avec les camisards mais toujours ancré dans la région. Il continue à écrire jusqu’au bout puisque son dernier texte, Il faut vivre vieux, paraitra en 1984, quelques mois après son décès – un ultime bilan, une dernière synthèse de son existence.
Il a gardé des liens étroits avec le monde : il assiste toujours aux séances du jeudi à l’Académie française, reste attentif à sa région et ses sociétés : la Nacioun Gardiano, le Club cévenol, l’Académie de Nîmes et celle de Toulouse. Il accepte en 1973 et pour une dizaine d’années, la présidence du Collège des Conservateurs du Musée Condé au Château de Chantilly ; il assure la présidence de la Commission supérieure des Archives, jusqu’en 1981. C’est lui qui présente le grand collier de la Légion d’honneur à Valery Giscard d’Estaing, élu président de la République en 1974. Il fait des émissions de radio : Chancel lui consacre deux Radioscopies en 1974 et 1978. Il parle des problèmes contemporains et de sa toujours intense production littéraire. Il assiste aux fêtes félibréennes à Sceaux en 1978. Sa région l’honore également : la salle André Chamson au Musée cévenol du Vigan est inaugurée, le 1er septembre 1980. Des universitaires analysent son œuvre (par exemple, Giula Papoff, en Italie).
Mais « le chiffre de ses jours » est compté. Celui de Lucie Mazauric aussi : elle meurt le 15 juin 1983 et lui, le 9 novembre de la même année. Leur tombeau se trouve sur la Lusette, avec pour seules inscriptions leurs noms et dates de naissance et de mort – les mêmes. En haut de la roche, gravé dans la pierre comme sur son épée d’académicien, le maître mot de la révolte camisarde : « Régister ».
En 1930, cinquante-trois ans avant sa disparition, il disait déjà : « Dans l’échancrure bleue des montagnes, entre le Liron et la Lusette, je vois la plaine où se dresse la tour, où le mot « résister » fut écrit. Qui osera le graver, non plus en signe de désespoir, non plus sur la pierre d’une prison, mais face au ciel, immense, sur des rochers de cette haute montagne. Mon humanité la plus simple, la plus repliée sur elle-même, se réalise ici dans ce mot. » (Foi et Vie, 16 novembre 1930).
Biographie établie par Micheline Cellier.