Le Puits des miracles
NRF, 1945
Roman
Dans une petite ville de province, un narrateur, parlant à la première personne, penché à sa fenêtre qui surplombe une cour intérieure séparée d’une ruelle par un mur, observe les mouvements de différentes personnes. Il fait une terrible série de portraits dont ceux des deux vieilles tanneuses de peau de lapin qui s’occupent de plus pauvres qu’elles, d’enfants privés de tout, jouant dans le ruisseau, de femmes enceintes aux jambes maigres terrifiées par l’incertitude de l’avenir, du monsieur de Vienne juif qui va être emprisonné… Face à eux, un boucher millionnaire et florissant, un mouchard « espèce nécessaire aux époques maudites », un ventriloque qui reprend en boucle les phrases de Pétain et, en ouverture, un « tueur de chiens », payé à la pièce, qui attend de revêtir l’uniforme noir de la milice…
À propos de …
La Galère et Le Dernier village étaient déjà en prise avec l’histoire en train de se dérouler : les événements du 6 février 34 pour l’un et la débâcle de 1940, pour l’autre. Mais Le Puits des miracles diffère de ces deux romans par plusieurs aspects.
D’abord, dans Le Puits ne sont précisés ni la période, ni le lieu. Mais l’action se passe de façon évidente pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1942, au moment où les Allemands sont entrés dans Montauban. Ces imprécisions, volontaires, confèrent au roman la dimension d’une fable politique intemporelle, tant les réactions des personnages et leur typologie même pourraient être les mêmes dans des circonstances troublées analogues. Mais quand le roman paraît en 1945, les lecteurs reconnaissent des situations vécues. Pour certains critiques, le livre ne relève pas du romanesque mais du témoignage.
Ensuite, le ton est inédit dans l’œuvre de Chamson qui, même lorsqu’il était soulevé par l’indignation, n’a jamais atteint la virulence présente dans Le Puits : « C’est d’une autre voix que je parle ici. Elle est, peut-être, comme un écho des lectures de Job et d’Ézéchiel que j’ai faites pendant mon enfance. » (Devenir ce qu’on est). Cette voix est celle de l’imprécateur : « C’est un livre furieux, un livre sans retenue, un poème plus qu’un roman. » Il y fustige, en particulier, les profiteurs de guerre, incarnés dans le personnage de Tourinas qui renvoie à l’immense tribu des Moi-moi-moi, les Moua-moua-moua qui ramènent tout à eux. Chamson s’attaque aussi au pire d’entre eux, Pétain en personne, « vide comme le cénotaphe d’une victoire dont tous les morts reposaient ailleurs », et à une foule d’arrivistes complaisants et collaborateurs décrits dans la scène incroyable du repas à la Chambre du Commerce où le ministre Connard (en fait, Abel Bonnard, ministre des Beaux-Arts), célèbre la nouvelle France humiliée par la défaite.
Mais toujours, dans l’œuvre de Chamson, persiste l’espoir perceptible dans la citation de Balzac en ouverture « N’est pas détruit qui veut » et ce credo du narrateur : « Les meilleurs se reconnaissaient à l’espérance. […] Je ne peux m’empêcher de considérer cet espoir comme le pressentiment de ce qui doit être et de ce qui sera. Aurais-je écrit, depuis le premier jour de la servitude, pour les temps qui vont venir, si je ne le pensais pas ? »
Ce roman, paru aux Éditions de Minuit, sous le pseudonyme de Lauter (nom d’une rivière de Lorraine) et réédité en 1945 eut un énorme succès. Il a contribué à remettre Chamson sur le devant de la scène, même si curieusement, il s’en est détaché très vite : « Ce livre a presque existé en dehors de moi, comme le témoignage d’une témoin dont on ne s’occupe plus. » Il fut publié rapidement à l’étranger, dans presque tous les pays occupés.
Voir l’excellente analyse faite par Patrick Cabanel :
« André Chamson : un intellectuel en guerre (1934-1945). » André Chamson, un intellectuel en résistance, 2001, Nîmes, France. pp. 37-59. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00177871/document
Chamson par …
Chamson, Devenir ce qu’on est, 1959 :
« C’est l’histoire de la servitude, de ses fatalités dégradantes, mais aussi de l’indestructible volonté de redevenir libre. “ On ne tuera jamais le dernier homme ”. » […] Cette histoire se passe à Montauban. Mais Montauban n’est ici, malgré son magnifique décor, qu’une ville semblable aux autres villes de France. Fourmillant comme dans une cour des miracles, les personnages sont nés de l’accouplement monstrueux des gens que j’ai coudoyés pendant mon séjour dans cette ville. Aucun n’est véritablement un portrait, car chacun est un monstre engendré par plusieurs personnes. C’est pour cela que j’ai refusé de donner les clefs de ce roman. […] L’imaginaire, ici, recouvre le réel. Mais c’est de la réalité qu’il est né, sans aucun mensonge, je crois. »
Éditions
Une partie de cet ouvrage a été publiée en 1944 dans les « Nouvelles Chroniques » (Chroniques interdites, t. II) aux Éditions de Minuit, sous le pseudonyme de Lauter.
Édition originale, Paris : Nouvelle Revue Française, 1945.
Extrait « La petite fille et Mathurin », Nouvelles littéraires, n° 122, 1945.
Nouvelle édition, Paris : NRF, 1946.
Repris in Les Livres de la guerre, Paris : Omnibus, 2005.
Éditions en langue étrangère
Mirakelbronden, traduit par Eva Alexanderson, Copenhague : Glydendalske Boghandel, Nordisk Forlag, 1947.
Mirakelbrunnen, traduit par Eva Alexanderson, Stockholm : Albert Bonniers forlag, 1947.
Studnice zázraku, traduit par Jarmila Kovárnová, Prague : Nakladatelstvi, 1947.
Studnia cudów, powiésc, traduit par Ryszard Matuszewski, Varsovie : Czytelnik, 1950.
A csodak Kutja, traduit par Laszlo Lontay, Budapest : Europa, 1959.