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Le film Tabusse

Le quatrième roman d’André Chamson, Histoires de Tabusse (1930) connut un grand succès auprès du public et suscita l’intérêt d’un producteur protestant, André Sarrut et d’un réalisateur, Jean Gehret, assistant de Jean Renoir, qui avaient été « dès le premier jour, accrochés par le personnage de Tabusse ». André Chamson signa le scénario et les dialogues du film en concentrant le récit sur quatre des douze histoires qui composent le livre : « Le partage de la fougasse », « Les chiens de Tabusse », « Les champignons », « Le mariage de Tabusse ».

Soucieux d’un réalisme discret, Jean Gehret présente une œuvre attachante. Selon le critique Raymond Barkan (L’Écran français, n°222 du 3 octobre 1949), « l’atmosphère cévenole a du relief. La photo de Georges Million traduit avec une poésie sans fioritures le charme robuste et grave des paysages. Le film est pavé de remarquables scènes. Le passage de la lapidation a une force dramatique tout en discrétion dont il faut particulièrement féliciter Jean Gehret. Tabusse, film modeste et sincère, introduit une bouffée d’air et d’humanité dans le cinéma français. Jean Gehret travaille dans le vrai et l’humain. »

Tabusse présente l’intérêt d’avoir été tourné immédiatement après la guerre en décors naturels, au fond d’une vallée des Cévennes et sur les cimes côtoyant le Mont Aigoual.  C’est un document quasi-ethnographique qui présente les gens et les modes de vie de l’époque, à la fois ceux de la paysannerie cévenole (les villageois, les fermiers, le colporteur) mais aussi ceux de la ville (les touristes, le prêteur usurier, le maire, le député, les ingénieurs).  Le scénario est bien construit et cohérent, abordant des sujets de société : l’arrivée de la modernité (l’électricité, les routes), la disparition de la petite paysannerie et son rapport avec la nature (la famille riche de Camprieu est sur la voie d’une exploitation rationnelle et mécanisée), la place prépondérante de l’argent qui biaise les rapports humains (Tabusse n’est pas un bon parti, les petites gens se font gruger par des prêteurs sans scrupule), l’altérité (Tabusse est différent des villageois parce qu’il appartient à une race d’hommes libres en voie de disparition, vivant de chasse, de pêche et de braconnage et dont « on a cassé le moule », selon l’expression de Chamson).

 

Affiche de Tabusse
L'affiche du film Tabusse
L'affiche du film Tabusse
Chamson devant l'affiche de Tabusse
Rellys dans Tabusse
L'acteur Rellys

Fiche technique
Titre : Tabusse
Réalisation : Jean Gehret
Assistant : Émile Roussel
Scénario et dialogues : André Chamson
Photographie : Georges Million
Son : Fernand Janisse
Montage : Myriam Borsoutzky
Société de production : Les Gémeaux
Tournage : du 3 mai au 4 juillet 1948
Durée : 95 minutes
Date de sortie :
France : 28 septembre 1949

Distribution
Rellys : Tabusse
Paulette Andrieux : Julia
Marcel Lévesque : Le Pat
Yvonne Yma : Mme Montet
Robert Seller : Milette
Jane Morlet : Mme Milette
Julienne Paroli : La Noémie
Jean-Marc Lambert : Léon
Edmond Guiraud : le père de Julia
Albert Malbert : le député
Léon Pauléon : le curé
Janine Press : la télégraphiste

Le film met en scène l’acteur Rellys dont ce fut le premier rôle dramatique, sans doute son plus grand rôle (voir sa fiche http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=24373), lui ouvrant la voie pour interpréter Ugolin dans Manon des Sources de Marcel Pagnol sorti en 1952. Comme il le dit lui-même, le rôle de Tabusse marqua un véritable tournant dans sa carrière : « C’était mon premier rôle dramatique. J’ai aimé Tabusse avec une affection telle qu’elle me faisait parfois pleurer pour de bon. Le petit-fils du vrai Tabusse est venu lui-même me serrer la main. Je ne saurai assez remercier, Jean Gehret, le réalisateur, de la confiance qu’il a mise en moi ».

Un critique a comparé le personnage qu’il incarne à celui de Charlot, pour sa solitude, sa cabane dans la neige, son goût pour la liberté, son antagonisme bon enfant avec le garde-chasse, la défense des faibles, l’amour impossible. De l’opposition entre le héros Tabusse et les autres personnages du film, surgit une morale sociale et humaniste qui touche le spectateur. 

Chamson trouvait que Rellys incarnait parfaitement le Tabusse qu’il avait imaginé, même s’il était « moins grand, moins fort, moins bouclé »  : « Je me souviens du jour où, pour la première fois, j’ai vu Rellys dans son costume de Tabusse. C’était à Valleraugue sur les quais de l’Hérault. Les gens du pays le regardaient en se demandant quel était ce montagnard qu’ils ne connaissaient pas mais qu’ils croyaient cependant avoir vu déjà dans les grandes foires. […] Tout personnage de roman se meut dans un univers imaginaire où chacun lui prête le visage de ses rêves. Mais pour le porter à l’écran, il faut d’abord l’incarner dans un être de chair et l’arracher aux imprécisions de la légende et de la rêverie. » 

(inédit : © Collection Ville de Nîmes – Bibliothèque Carré d’Art).