Devenir ce qu’on est
Wesmaël-Charlier, 1959
Autobiographie critique.
Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’une collection belge dont le titre explicite clairement le projet : « Les Auteurs juges de leurs œuvres ». D’autres écrivains ont précédé Chamson : Duhamel, Maurois, de Lacretelle… Dans la première partie, Chamson retrace sa vie, de la naissance jusqu’en 1958. Dans la deuxième, il analyse son œuvre : après avoir étudié son « infrastructure » (la vocation, la loi de maturation, la pulsation de la vie…), il dresse « l’inventaire de son domaine » (la montagne, le protestantisme, la Méditerranée, le bilinguisme…) et détaille les thèmes qui le hantent (L’homme contre l’histoire, continuités et métamorphoses, l’alliance…). Il aborde ensuite la notion de « structure », entendue au sens architectural, qui détermine le style d’un romancier et les « matériaux » à assembler. Il fait enfin le « recensement » chronologique de ses ouvrages qu’il « juge », à partir de quelques entrées : origines, thème, particularités, réalisation, destin du livre… Une ultime partie, d’ordre anthologique, réunit des extraits de ses ouvrages, choisis par ses soins.
À propos de …
Le titre choisi, écho d’une citation balzacienne, inscrit cette réflexion dans une perspective morale : Chamson met en évidence les éléments ayant concouru à le former et à l’aider à « devenir ce qu’il est », en tant qu’homme et écrivain. Cet ouvrage constitue un bilan biographique et artistique, qu’il ressent comme nécessaire à un moment charnière : « La soixantaine arrive et si la vitalité que j’ai reçue en partage est encore intacte, je sens cependant les signes avant-coureurs d’une lassitude avec laquelle il faudra finir par composer. Je voudrais me consacrer entièrement à mon œuvre. Mais c’est trop demander sans doute… » Avant d’envisager la suite, il jette un regard rétrospectif sur ce qui fonde l’essentiel de sa personnalité, dont sa passion pour la montagne, immuable depuis son enfance (« Elle a été la toile de fond de ma vie. Elle a même été pour moi comme le fondement naturel de toute une morale. J’ai vécu dans la mystique de ses mouvements ascendants qui convergent vers ses sommets »). Il fait une sorte de tri dans ses livres et considère avec philosophie leur succès présent et futur. Il sait qu’« on ne gagne jamais avec ce qu’on a de meilleur. Mais c’est ce qu’on a de meilleur, en revanche, qui vous donne une chance de durer ». Il joue le jeu imposé par le contrat de la collection avec un ton serein, familier, parfois sur le registre de la confidence.
Il a conscience de passer un cap : « Bien que les honneurs soient venus, je suis peut-être encore soumis à ce qui fut mon destin au commencement de ma vie. Je n’ai jamais rien eu sans efforts, sans traverses, ni batailles. S’il faut tout recommencer, je veux bien le faire, une fois de plus… Vienne une autre nouvelle naissance, un nouvel effort pour mieux m’accorder à ce monde et pour dire mieux ce que je sais de lui. » En effet, il ne s’agit que d’un bilan d’étape, d’une sorte de respiration sur une route encore longue, car une dernière grande période s’ouvre devant lui : en 1959, au moment où paraît le livre, Malraux propose à Chamson de prendre la direction des Archives de France qu’il gardera jusqu’en 1971. Il entamera aussi, dans la foulée, un nouveau cycle romanesque de grande ampleur : la suite de récits et de romans consacrés aux luttes protestantes et camisardes. Chamson se livrera à son dernier éclaircissement autobiographique, en 1983, dans Il faut vivre vieux, paru un an après son décès.
Devenir ce qu’on est a servi de pierre angulaire à une douzaine d’entretiens à la radio diffusés sur Paris Inter et la Chaîne nationale du 10 novembre 1959 au 2 février 1960, sous la conduite de Francine Leullier. Ces émissions reprennent et prolongent cet ouvrage, dans la perspective du « bilan » mais aussi de l’actualité (au cours de l’une d’entre elles est annoncée la nomination de Chamson à la direction des Archives). Pour apprécier les convergences et les démarquages entre « le moi qui écrit » Devenir ce qu’on est et « le moi qui parle » à la radio, lire l’article de Micheline Cellier-Gelly, « André Chamson, entre le dit et l’écrit », in Écrivains au micro – Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante, dir. Pierre-Marie Héron, PUR, 2010 ici : https://books.openedition.org/pur/40396?lang=fr
Chamson par …
Chamson (avant-propos de l’édition de 1959) :
« Sans ami, pas de confidence ; pas de plongée dans l’obscurité de l’âme sans psychiatre ou psychanalyste ; pas de confession sans confesseur. Toute exploration de soi-même suppose une aide extérieure, un soutien, une incitation, et ce livre – à la fois confidence, analyse et confession – n’aurait sûrement jamais vu le jour si cette collection des “Auteurs juges de leurs œuvres” ne m’avait pas incité à l’écrire.
Le livre fait, je suis heureux de m’être ainsi confié, analysé, confessé et je crois que tout écrivain aurait avantage à le faire. J’espère surtout que ceux qui liront ces pages le feront comme peut le faire un ami, un confident ou un confesseur. »
Éditions
Repris in Le Livre des Cévennes, Paris : Omnibus, 2001.